O qui perpetua mundum ratione gubernas

O qui perpetua mundum ratione gubernas (2012)
pour 6 voix de femmes a cappella
[7’30]
Sur des extraits de la Consolation de la Philosophie de Boèce (480-524) (Livre III, chants 8 & 9) [LA]
Commande de l’Ensemble Discantus Brigitte Lesne

Création : 16 juin 2012, Ravenstein (NL), Ensemble Discantus • Brigitte Lesne

O qui perpetua mundum ratione gubernas est un diptyque construit sur les chants 8 et 9 du 3e livre de la Consolation de Philosophie de Boèce. La musique se veut support de la déclamation et porteuse du sens, tantôt illustration, tantôt enluminure. Sa tonique − ou plutôt son pivot − est la note sol ; l’intervalle de quarte (typique de la diaphonie du Tropaire de Winchester) est la brique essentielle de sa construction harmonique ; parallélismes et miroirs en fondent le contrepoint ; enfin son rythme a pour soubassement la scansion de la métrique latine, en brèves (˘) et longues (−).

La première partie a pour mètre l’asclépiade mineur ( − − | − ˘ ˘ − | − ˘ ˘ − | − −̆ ) suivi du dimètre iambique ( ˘ − | ˘ − | ˘ − | ˘ − ). Après la déploration initiale, les errements de la recherche, ici-bas, des faux biens − entre le sol et son antithèse le do#, éloigné d’un triton (diabolus !) − nous font évoquer or et gemmes, montagnes et mers, biches et poissons.

Dans la seconde partie, hymne au Créateur qui amène à la connaissance des vrais biens, l’antique scansion est d’abord délaissée pour une diction plus psalmodique, et le texte est superposé, tel un motet, à l’Alléluia pascal ce cantus firmus en mode de sol se révèle alors comme la charpente de la pièce, son intonation étant présente dès la première partie, ainsi que dans la prière finale − laquelle, scandée en hexamètres dactyliques ( − ˘ ˘ | − ˘ ˘ | − ˘ ˘ | − ˘ ˘ | − ˘ ˘ | − ˘ ˘ ), occupe tout le spectre vocal, pour enfin se fondre, diatoniquement, dans l’unisson primordial.

Vidéo avec suivi de la partition (live)

Partition


Eheu, quæ miseros tramite devios
abducit ignorantia !
non aurum in viridi quæritis arbore
nec vite gemmas carpitis,
non altis laqueos montibus abditis
ut pisce ditetis dapes
nec vobis capreas si libeat sequi
Tyrrhena captatis vada ;
ipsos quin etiam fluctibus abditos
norunt recessus æquoris,
quæ gemmis niveis unda feracior
vel quæ rubentis purpuræ
nec non quæ tenero pisce vel asperis
præstent echinis litora.
sed quonam lateat quod cupiunt bonum
nescire cæci sustinent
et quod stelliferum transabiit polum
tellure demersi petunt.
Quid dignum stolidis mentibus imprecer ?
opes honores ambiant,
et cum falsa gravi mole paraverint
tum vera cognoscant bona.

Hélas, quelle ignorance nous entraîne à l’écart
du droit chemin pour notre malheur!
Vous ne cherchez pas l’or dans les vertes frondaisons,
ni ne recueillez les gemmes dans les vignes !
Vous ne cachez pas vos filets dans les hauteurs
des montagnes pour enrichir vos repas de poissons,
Et s’il vous tente de chasser les chevreuils,
vous n’allez pas les pêcher dans la mer tyrrhénienne !
Mieux encore, les hommes connaissent même les
profondeurs marines, dissimulées par les flots,
ils savent quelle onde est plus féconde en perles blanches
comme neige, quelle autre en pourpre rougeoyante,
quelles côtes fournissent poissons lisses, oursins acérés ;
mais où se cache le Bien, objet de leurs aspirations,
ils supportent, aveugles qu’ils sont, de ne le pas savoir.
Ce qui est au-delà du firmament porteur d’astres,
ils le cherchent en creusant la terre !
Quelles imprécations dignes de leur bêtise pourrais-je lancer ?
Qu’ils convoitent les richesses, les honneurs,
et lorsqu’ils se seront acquis des biens trompeurs
au prix d’un immense effort, qu’alors ils comprennent
quels sont les biens véritables.


O qui perpetua mundum ratione gubernas,
terrarum cælique sator,
qui tempus ab ævo
ire iubes stabilisque manens
das cuncta moveri;
quem non externæ
pepulerunt fingere causæ
materiae fluitantis opus, verum insita summi
forma boni livore carens ;
tu cuncta superno ducis ab exemplo,
pulchrum pulcherrimus ipse
mundum mente gerens,
similique in imagine formans,
perfectasque iubens perfectum absolvere partes.
Tu numeris elementa ligas,
ut frigora flammis, arida conveniant liquidis,
ne purior ignis evolet aut
mersas deducant pondera terras.
Tu triplicis mediam naturæ
cuncta moventem conectens animam
per consona membra resolvis.
quæ cum secta duos motum glomeravit in orbes,
in semet reditura meat mentemque profundam
circuit et simili convertit imagine cælum.
Tu causis animas paribus vitasque minores
provehis et levibus sublimes curribus aptans
in cælum terramque seris,
quas lege benigna
ad te conversas reduci facis igne reverti.
Da, Pater, augustam menti conscendere sedem,
da fontem lustrare boni,
da luce reperta
in te conspicuos animi defigere visus.
Dissice terrenæ nebulas et pondera molis,
atque tuo splendore mica ;
tu namque serenum, tu requies tranquilla piis,
te cernere finis, principium,
vector, dux, semita, terminus idem.

Toi qui régis le monde d’une raison sans fin,
créateur de la terre et du ciel, toi
qui régis la marche du temps de toute éternité
et, dans ta perpétuelle stabilité,
mets en branle l’univers entier,
toi que nulle cause externe
n’a poussé à façonner ton oeuvre
dans une matière fluide, mais la forme
du bien suprême en toi innée, dépourvue de malignité ; toi,
tu mènes tout selon le modèle céleste,
toi-même d’une suprême beauté,
tu portes en ton esprit un monde beau
et tu le composes semblable à ton image ;
tu fais que ce qui est parfait forme des parties parfaites;
tu lies les éléments selon des proportions, pour ménager
l’équilibre du froid et des flammes,du sec et du liquide,
afin qu’un feu trop pur ne prenne son envol ou que
les terres ne soient englouties par leur propre poids.
Tu ajustes la partie intermédiaire de l’âme tripartite
principe de tout mouvement et la résous en éléments
harmonieux : lorsque, partagée, elle a concentré son
mouvement en deux cercles, elle effectue un circuit
pour revenir sur elle-même, fait le tour de l’esprit en sa
profondeur et cause semblablement la révolution du ciel.
Par les mêmes causes tu mets en mouvement les âmes
et les vies d’un niveau inférieur et les plaçant dans le ciel
sur des chars légers, tu les sèmes dans le ciel et la terre:
selon une loi bienveillante, tu les fais se tourner vers toi
et causes leur retour par un feu qui les ramène.
Ô Père, donne à mon esprit de monter vers ton auguste séjour,
donne-moi de contempler la source du Bien,
donne-moi, une fois la lumière trouvée,
de fixer sur toi le regard éclairé de mon âme.
Dissipe les nuages et les pesanteurs de la masse
terrestre et brille de la splendeur qui est tienne,
car tu es sérénité, tu es repos tranquille pour la piété,
te contempler est notre fin, notre principe, ce qui nous meut,
nous guide, notre voie, le terme de notre route à la fois.